Au petit sourire en coin d'Erik quand il lui avait dit au-revoir avant qu'elle ne parte vers une de ses premières missions hors de la ville, Raven aurait dû comprendre qu'il y avait anguille sous roche. Non, qu'il y avait même baleine sous caillou. Certes, rien que le fait de l'y envoyer avec Emma Frost était en soi risible, puisque la métamorphe était plus que piquée par la jalousie quand cette blondasse, comme elle se plaisait à l'appeler en son for, traînait dans les parages, fait dont Erik était pleinement conscient car l'animosité de Raven était aussi discrète qu'un éléphant dans un magasin de porcelaine. Et imaginer une cohabitation forcée d'une journée entre les deux femmes pour que l'une forme l'autre pouvait faire sourire quand on connaissait leurs deux caractères, effectivement. Cela dit, elle aurait dû se douter qu'il y avait plus. Plus que la possible image d'un catfight reine blanche vs princesse noire, image qui avait certainement dû lui traverser l'esprit, derrière ce sourire. Et ce plus, c'était leur destination : la Russie, recouverte de son manteau de neige. Comme si le climat de guerre froide entre les deux mutantes ne suffisait pas ! Il avait fallu qu'on les envoie se peler les miches chez les slaves. Raven n'avait qu'une seul chose à dire pour remercier Erik : je te déteste. A mettre sur le compte de sa mauvaise humeur. Car non, de ce fait, la mission ne commençait pas du tout du bon pied.

Pourtant, malgré les quelques couacs, comme le décor qui n'était pas à son goût, ou son partenariat forcé avec la reine des glaces, Raven était, au fond, contente d'être là, car c'était une preuve de confiance de la part du roi noir, et ça, ce n'était pas rien. De plus, si elle voulait faire ses preuves et être davantage prise au sérieux, elle avait besoin d'occasion comme celles-ci pour ce faire. C'est pourquoi elle garda ses plaintes en son for et fit mine que tout allait bien lorsqu'Azazel les téléporta puis repartit aussi sec, les laissant seules au milieu de nulle part. Un sourire à la blondasse plus tard, bien qu'un peu forcé, la mission d'infiltration pouvait commencer.

Remuant vaguement son thé, Raven observait le bar avec minutie, faisant bien attention de ne pas attarder trop longtemps son regard à un endroit précis - soit celui où leur proie était attablée - lorsque soudain, Frost se leva et s'empara de son manteau, lui indiquant silencieusement de l'imiter. Celui-ci quittait le bar, elles n'avaient donc plus aucune raison d'y rester. Jusqu'ici, la mission avait été plutôt ennuyeuse : une succession d'attente, et pour briser la glace, la reine blanche n'y mettait que très peu du sien, c'est pourquoi lorsqu'elle lui adressa enfin plus de trois syllabes combinées, Raven se retint de justesse de marmonner : ah, tiens, on se rappelle que j'existe ? « Tu es prête ? Bien. Surtout, ne diverge pas du plan: c'est important si tu ne veux pas nous causer des ennuis. » Le plan ? Tu restes à distance raisonnable, tu observes et tu en prends de la graine. Le niveau de difficulté était si élevé, oh non, vraiment, elle n'était pas sûre du tout d'y parvenir... Retenant un soupir, Raven répondit en faisant de gros effort pour poncer son ton profondément sarcastique : « Parfaitement. Je serais plus discrète que ton ombre. » Et alors que Raven lui refaisait le coup du sourire forcé qui voulait dire "tout va bien" alors qu'elle pensait "putain c'est la mort", Emma lui sourit en retour. D'un drôle d'air. Un air qui ne lui disait rien. « Finalement, tu sais quoi? Aujourd'hui, tu as l'honneur de me remplacer. Montre-moi de quoi tu es capable. C'est en réalité très simple: avec tes pouvoirs, tu adoptes mon apparence et tu continues la mission comme si tu étais moi... Ne t'inquiète pas, je veillerai à ce que tout se passe bien, je veux simplement que tu me montres de quoi tu es capable, exactement. » Ah ben enfin, un peu d'action ! Non pas qu'elle n'avait pas adoré se muscler le poignet en tournant pendant une heure sa cuillère dans son thé... « J'ai saisi. Donc tu fais l'ombre pendant que je suis en pleine lumière. Parfait. Bonne observation alors ! » Si elle la jouait un peu trop sûre d'elle, à la limite de passer pour prétentieuse ? Elle avait déjà réussi à berner Erik Lensherr en se faisant passer pour sa secrétaire, Moïra McTaggert, agent de la CIA, en se faisant passer pour Charles, et encore bien d'autres. Alors oui, elle avait confiance en ses talents, et non, elle n'avait pas peur une seconde de se foirer. Comme si une imitation de la blondasse était hors de sa portée ! A d'autres ! Une seconde plus tard, Raven s'était changée en la parfaite réplique d'Emma Frost et s'observait dans la devanture du café. Elles étaient identiques, des jumelles parfaites. Seul le sourire triomphant de Raven permettait de les différencier. Une autre poignée de secondes plus tard, la fausse Emma se retournait vers la rue et embrassait leur client, en train de rejoindre sa voiture, du regard. C'était parti pour le show. « Monsieur Pavlenko ! Vous me reconnaissez ? » Lança-t-elle dans un russe parfait - étant autrichienne, cette langue était comme la sienne. Se retournant sur elle, le regard de l'homme changea et son sourire se fit plus crispé. « Comment pourrais-je vous oublier... Monsieur Lensherr se porte bien ? » « Justement, il m'envoie vous donner de ses nouvelles. Lui aussi aimerait bien avoir des vôtres... » « Oui, oui... Et bien, dîtes lui que je suis très occupé, d'ailleurs, je suis en retard à un rendez-vous. Excusez moi... » Commença-t-il, essayant de lui fausser compagnie en s'acharnant sur sa portière qu'il tentait d'ouvrir d'une main fébrile. « Celui-ci peut certainement attendre, vous ne pensez pas ? Vous ne pouvez avoir affaire plus urgente que celle que vous devez régler avec lui. » Ajouta-t-elle en posant sa main sur celle-ci, mais l'homme l'ouvrit quand même, sous la panique. Elle eut heureusement le réflexe de la retirer. Mais l'homme était sur le point de fuir, et Raven n'était pas en mesure de l'arrêter, le problème résidant dans le fait que, si Raven était en tous points physiquement Emma Frost, elle n'avait pas l'entière capacité de ses talents de persuasion. Si elles partageaient leurs apparences, elles ne partageaient pas leurs dons. L'homme referma la portière et ce fut au tour de Raven de paniquer. Il allait s'enfuir. Et elle n'y pouvait rien changer.

C'était couru d'avance. Évidemment, qu'elle n'aurait pas pu réussir. Emma avait dû lire dans les pensées de Pavlenko et comprendre avant même de lui demander de mener à bien la mission et de faire ses preuves que c'était infaisable. Il n'y avait pas d'autres explications plausibles ! Sinon, un tel fiasco n'aurait jamais eu lieu. Jamais. Et même dans le cas contraire, Raven ne l'aurait jamais admis. Même du fond de son caveau. Humiliée et contenant tant bien que mal une crise de nerfs digne d'une tempête d'Ororo Monroe, la polymorphe fusilla Miss Parfaite de son regard d'or en fusion, qui avait repris le dessus sur le bleu glacier avec le pic de colère qui était venu la submerger lorsque celle-ci lui avait lancé d'un ton cassant : « Ah bah c'est malin! Tu l'as laissé s'échapper! Dois-je vraiment tout faire ici? » Quelle sale peste ! Comme si Raven ne voyant pas complètement clair dans son jeu, comme si cet échec n'était pas complètement attendu de sa part ! Jamais elle n'avait réellement eu confiance en elle, ni en le fait qu'elle pu s'en tirer à bon compte. Elle savait, car depuis le départ, elle avait plus de cartes qu'elle en mains avec sa capacité à fouiller les esprits. Qu'elle ne fasse pas semblant d'être surprise. Et surtout, qu'elle n'insinue pas une seconde que c'était de sa faute s'il avait pris la fuite ! C'était trop facile de forcer les gens à agir selon notre volonté comme bon nous semblait et d'ensuite reprocher à ceux qui n'avaient pas ce talent d'être nul. Elle, sans son don, ne l'aurait même pas fait rester une demi seconde ! Elle avait tellement l'habitude d'obtenir sur un simple ordre mental ses moindres caprices qu'elle ne savait certainement même pas user de son intelligence et des mots comme talent de persuasion, alors qu'elle ne fasse pas trop sa maline, hein! Fronçant les sourcils, celle-ci croisa les bras en détaillant sa "supérieure" d'un air scandalisé. Elle était à deux doigts de répliquer avec un mépris cuisant « C'est ma faute moi, si t'étais pas assez canon pour le retenir ? » lorsqu'elle fut stoppée dans son élan par la voiture qui revenaient vers elle et s'immobilisa à leur hauteur. Une seconde plus tard, Frost lui ordonnait de monter par la droite et elle s’exécutait avec un sourire forcé on ne peut plus hypocrite. Dans la foulée, les portes se refermèrent sur elle et Raven regarda avec amertume la reine rouge reprendre lesrennes. « Nous voilà finalement tranquilles, monsieur Pavlenko. Je m'excuse d'avance pour tout les retardements occasionnés: mon amie n'est pas encore habituée à ce genre de choses... Où en étions-nous? » Très peu à l'aise dans son costume de blonde écervelée, Raven avait repris son apparence bleutée, toujours emmitouflée dans un manteau de fourrure pour plus de confort et de décence, et regardait avec un sourire en coin le russe. Aucun doute, elle l'intimidait bien plus avec ses écailles qu'Emma Frost avec son ton coulant de mesquinerie. Faisant de son mieux pour ravaler le ton hautain que sa supérieure lui inspirait, Raven prit la suite sans même qu'on ait à le lui demander - épatant, hein ? - voyant que le russe était tétanisé. « Nous venions d'entrer dans le vif du sujet, rappellant M. Lensherr a son bon souvenir. » Souffla-t-elle avec un sourire en coin, voyant la pomme d'Adam de ce cher Pavlenko faire des bonds dans sa gorge. « Que voulez-vous exactement ? » Articula-t-il avec difficulté alors que Raven ne put retenir un rire : aurait-il été dans un tel état de terreur s'il n'avait pas exactement su ce que l'on attendait de lui ? « Allons. Épargnez nous le numéro de l'ignorant, vous savez parfaitement quel vent nous amène aussi loin de New York. Notre cause, M. Pavlenko. La cause des mutants. » Il eut un tressaillement qui agaça Raven mais qu'elle ignora pour achever sa tirade, son ton jusque là placide se faisant plus ferme. « Cause que vous aviez promis de soutenir. Et pour Erik Lensherr, les promesses sont d'or. Demandez donc à Sebastian Shaw, si vous ne me croyez pas. » Un sourire cynique s'étira sur ses lèvres alors qu'elle put voir les poings de l'homme se resserrer sur son pantalon. « Oh, oui, ça me revient maintenant. » Avoua-t-il en tamponnant son front d'un coin de sa manche. Levant un regard victorieux sur sa boss, Raven décroisa et recroisa ses jambes. Alors, elle était pas douée la petite pour persuader les gens sans même avoir d'emprise sur leur esprit, hein? Et d'un point pour la bleue. Trouve donc quelque chose à redire à ça, Emma, ce serait comme critiquer Pablo Picasso en matière de cubisme!