Il y avait des jours comme ça, où la seule chose dont on avait envie c’était d’une tasse de chocolat chaud, d’une couette si épaisse qu’elle pourrait vous étouffer et d’un bon livre passionnant. Un jour gris et doux, sans Soleil ni vent, qui vous donne l’impression de vivre dans un monde de coton. C’était l’un de ses jours du mois de Novembre où l’on sentait l’hiver approcher à grand pas, avec son épais manteau de neige. Le genre de jour où les gens normaux se dépêchent de rentrer chez eux après leur travail. Cependant, ce n’était pas du tout le cas du jeune médecin, qui avait passé sa matinée à courir partout pour sa thèse et le reste de la journée à rencontrer des gens importants pour la société de son père et à discuter budget, financement et autres recherches. Bref, ç’avait été une sale journée pour Aby qui en avait marre de voir tous ces horribles requins et qui aurait largement préféré bouger et faire du sport.

Et pourtant, petite étincelle de merveilleux dans ce monde de brute, il y avait eu un miracle. Ses deux derniers rendez-vous étaient restés coincés à l’aéroport à cause d’un problème technique, aussi avait-elle eu la fin de journée de libre. Le monde était merveilleux et peuplé de poneys roses qui faisaient des cacas en Kinder sur des paillassons en nuage. Ce fut donc le cœur léger et heureux que la jeune femme avait sauté dans le premier taxi qu’elle avait trouvé pour retourner dans son hôtel du moment, histoire de boire un verre et de souffler un coup après cette journée ennuyeuse à défaut d’être fatigante. Peut-être que la piscine était encore ouverte, qui sait ? Elle n’avait pas peur d’avoir froid. Au pire, un verre de Vodka et un feu de cheminée et c’était reparti.

Elle poussa un long soupire en regardant le paysage défilant derrière la vitre du taxi. Elle aurait dû prendre sa moto. Son père s’y serait opposé mais il n’avait pas non plus besoin de le savoir n’est-ce pas ? Elle ne se souvenait même plus du nom de l’hôtel qu’elle avait donné au chauffeur, encore un parmi tant d’autres. Il lui semblait pourtant qu’il y avait déjà mis les pieds... Sa jambe se mit machinalement à trembler et ses doigts pianotèrent sur la portière, signe qu’elle n’avait pas bougé depuis trop de temps. Son énergie bouillonnante avait besoin de s’exprimer, et elle était à deux doigts de demander au chauffeur de s’arrêter pour continuer à pied... si seulement elle connaissait la route. Cherchant une activité, elle concentra son attention à fouiller dans sa mémoire et retrouver d’où elle connaissait se fichu hôtel.

Elle y avait mis les pieds... récemment, elle en était sûre. Elle n’aimait pas trop les endroits trop hype – elle ne savait jamais les différencier avec les clubs échangistes, alors elle s’abstenait pour toujours – donc cela avait forcément un lien avec la boite de son père. Voyons... sans doute devait-elle y rencontrer des investisseurs. Ah non, ça c’était à Boston, il y avait six mois. Alors hm... ah ça y est, elle y était, c’était une soirée d’inauguration pour un nouveau club d’elle ne savait plus trop quoi, il y avait des tas de femmes en moumoute et d’hommes qui portaient des chemises et des gourmettes. Elle détestait ce genre de soirée, trop sage et trop calme pour son caractère enjoué et dynamique. Mais que ne ferait-on pas pour son paternel n’est-ce pas ? Justement, le taxi finit par se garer et s’immobiliser devant l’hôtel en question, alors qu’un charmant jeune homme lui ouvrait la portière. Payant le chauffeur avec un généreux pourboire, elle bondit presque hors de la voiture et alla harceler la pauvre réceptionniste.

...

Bon, au final, la piscine était fermée et non, ils ne pouvaient pas la rouvrir pour elle, c’était interdit à cette époque de l’année. Pfff, petits joueurs. Tant pis, elle irait tout de même se réchauffer au bar avec une Vodka et le feu de la cheminée qui brûlait dans le coin là-bas. La vie était merveilleuse. Au pire, elle pourrait jouer au sous-marin dans sa baignoire tout à l’heure. Voyant qu’aucune activité physique ne se profilait à l’horizon pour la débarrasser de son énergie superflue, Aby sortit un flacon orange transparent de l’une de ses poches dont elle retira deux pilules blanches. Son traitement se chargerait de la calmer à la place alors. D’un geste rapide et machinale, elle goba les deux médicaments qu’elle fit passer avec une bonne gorgée de Vodka. Qui avait dit qu’alcool et médecine ne faisaient pas bon ménage ?

La jeune milliardaire commanda un autre verre et attendit sagement que cela fasse effet. La résistance à l’alcool de la demoiselle étonnait toujours les gens. A cela, Aby répondait souvent qu’elle avait eu un entraînement de choc en médecine histoire de noyer le poisson, en réalité elle se régénérait trop vite pour que l’alcool réussisse à la saouler. Pratique la majeure partie du temps, horriblement agaçant quand on avait juste envie de se mettre une mine. Cependant, en voyant la tête du barman quand elle commanda un autre verre, elle opta pour la prudence et demanda une bière à la place, histoire de ne pas passer pour une alcoolo et qu’il appelle la sécurité. Facile de contact, la demoiselle engagea bientôt la discussion avec le barman, l’endroit étant désert à ce moment de la journée.

Un petit moment passa ainsi, peuplé de rire et de bière bien fraiche mais la résistance à l’alcool d’Aby était peut-être exceptionnel, la résistance de sa vessie l’était beaucoup moins. Aussi dût-elle gentiment s’éclipser dans le coin où seules les femmes étaient acceptées, un sourire encore accroché aux lèvres. Elle poussa machinalement la porte, l’esprit encore dirigé vers la conversation qu’elle venait d’avoir et s’avança dans la pièce en observant sa montre. La porte se referma automatiquement derrière elle, et ce ne fut que lorsqu’elle leva les yeux qu’elle se figea net, stupéfaite devant le spectacle qu’elle avait sous les yeux. N’étant pas très sûre de la réaction qu’il convenait d’avoir dans ce genre de situation, elle se contenta d’arborer un sourire charmeur en soufflant avec un clin d’œil : « La rouge vous irait à ravir, ma belle, vous serez absolument splendide avec. »

Non, ce n’était donc pas son imagination qui lui jouait des tours, la jeune femme venait réellement de changer d’apparence. Dans le sens le plus littéral du terme. Elle ne comprit pas très bien ce qu’il se passa d’ailleurs, il y eu comme une vague de... de quoi ? d’écailles bleues ? qui sembla caresser son corps, remplaçant progressivement la robe aubergine pour une somptueuse robe rouge. Elle resta parfaitement immobile, le temps de digérer ça et que la jeune femme se tourne vivement vers elle, l’air aussi surprise qu’elle. Ben comme ça, elles étaient deux. Il y eut quelques secondes de flottement, pendant lesquelles elles s’observèrent mutuellement jusqu’à ce que la belle blonde copie son sourire, détendant l’atmosphère. Si elle souriait, c’est que tout allait bien non ? Non ? Mais si enfin. « Oh, vous m'avez surprise, je ne m'attendais pas à avoir un public si tôt. » Un... public ? Alors tout cela était normal. Du moins, elle essayait de s’en convaincre. Elle ne voyait pas trop comment la jeune femme comptait s’en sortir après cela. Parce qu’il allait falloir une sacrée bonne excuse.

« Je suis magicienne ! » Ah ben oui, ça expliquait tout. Une magicienne. On en croisait dans toutes les toilettes des hôtels hypes, c’était fréquent. Quand elle disait qu’elle n’arrivait pas à distinguer les hôtels hypes des boîtes échangistes, elle ne plaisantait vraiment pas. Mais une magicienne, pourquoi pas après tout. Aby croisa sagement les bras sur sa poitrine en hochant la tête, signe qu’elle acceptait cette excuse vaseuse... mais bon, elle n’allait pas la mettre dans l’embarras pour de tels détails, c’était sa vie après tout. « Je travaille au sein du Hellfire club, on m'appelle Mystique, je suis parait-il leur plus belle attraction. Si vous avez compris mon truc, gardez le secret pour moi. » dit-elle avec un large sourire qui dévoila ses dents parfaitement alignées d’une blancheur éclatante. Le Hellfire club. Oh pitié, faites qu’elle ne soit pas tombée dans une secte qui sacrifiait des chatons au dieu des bouteilles de lait à demi vides. Vous riez ? Vous avez tort.

« ... Je ne suis pas sûre d’avoir compris votre truc, mais je garderai ça pour moi, je vous le promets. » souffla-t-elle en faisant quelques pas dans la pièce, un léger sourire amusé aux lèvres. Elle avait quelques doutes quant à sa véritable appartenance à la caste des magiciens, mais il était indéniable qu’elle avait quelques talents cachés... ou un déguisement très spécial. « Dans tous les cas, c’était bluffant, je n’ai jamais rien vu de semblable... » Cela se voulait être un compliment, mais c’était l’entière vérité. Aby n’en était pas à son premier spectacle de pseudo-magie, mais ce truc comme elle l’appelait... elle n’avait pas la moindre idée de comment elle pouvait le réaliser. Et c’en était d’autant plus fascinant. « J’ai même cru un instant que vous changiez totalement de peau. » Elle ponctua sa phrase par un léger rire, censé marquer la plaisanterie.

« En tout cas, je suis ravie de vous rencontrer Mystique. Je suis Abigail Kane, mais je préfère qu’on m’appelle Aby. » Elle s’avança vers elle et lui tendit sa main gantée pour lui serrer – ou lui faire un baisemain, allez savoir avec Aby – et faire des présentations en règle. Elle lui avait donné son nom complet alors que la jolie blonde ne lui avait donné qu’un surnom mais peu importait. « Le Hellfire Club hm ? Je ne crois pas en avoir entendu parler. Mais je ne peux que les approuver pour leur plus belle attraction. » Attrapant délicatement sa main dans la sienne, elle y déposa un léger baiser, froissant l’étiquette en laissant ses lèvres effleurer sa peau. Elle regretta un instant de porter des gants en cuir, avant de se rappeler que cela était absolument nécessaire si on voulait éviter les... hm, disons les accidents.

Relâchant la main de la demoiselle sans trop insister – il fallait qu’elle vérifie si l’alcool n’avait réellement aucun effet sur son organisme... ou était-ce le mélange avec les médicaments ? Allez savoir – elle se recula et l’observa attentivement de haut en bas. Oui, comme d’habitude elle allait se mêler de ce qui ne la regardait pas mais que voulez-vous, on ne se refaisait pas après tout. « Vous... vous êtes capable de changer beaucoup de chose avec ce tour de magie ? J’avoue que je suis curieuse. » Et inutile qu’elle le précise, son expression était on ne peut plus parlante. S’approchant des lavabos, elle s’assit naturellement sur ceux-ci et prit un petit air mystérieux et taquin. « Et... est-ce pour un numéro que vous faites tous ces essais ou y a-t-il un homme derrière tout ça ? » Après tout, il devait bien y avoir une raison pour laquelle elle s’exerçait ici, dans les toilettes.