Nous sommes à New-York, comté de New-York le vendredi 22 novembre 1963 et ce même jour, à midi trente, a eu lieu à Dallas, Texas, le terrible assassinat du président John Fitzgerald Kennedy. Il est le quatrième président des États-Unis à être victime d'un meurtre et le huitième à mourir en exercice. Mais ce genre d'information n'intéresse pas le jeune Matthew Thornfield qui s'est précipité dans sa chambre après le cérémonieux repas du soir dans un seul et unique but : écouter la station de radio favorite de toute une génération, depuis le transistor dissimulé sous son matelas.
Tandis que les premières notes du Hippy Hippy Shake se font entendre, la poignée de sa porte se tourne et laisse entrevoir la silhouette d'une demoiselle : Tel un fantôme en robe bleue proprette, Jenny, la soeur aînée de Matthew vient le rejoindre dans la pénombre. Ce dernier leur allume une roulée, dont le bout forme leur unique éclairage. Tous deux se trouvent déjà propulsés dans un autre univers. Un monde insouciant dans lequel à l'heure où le monde merveilleux de la consommation de masse ne fait qu'émerger, les préoccupations des adultes ne sont rien à côté du bonheur utopique véhiculée par le rock'n'roll. Well, now, you shake it to the left, you shake it to the right : Do the Hippy Shake-Shake with all of your might ! Leur briève danse s'achève, l'animateur reprend le micro après le jingle habituel. «Hey hey hey les mods, vous êtes bien sur votre radio préférée, Rockabilly Station ! Je suis Mick Crawling et c'est moi qui vais vous faire danser le twist toute la nuit ! Mais avant ça, faisons place aux dédicaces du Vendredi ! Il me semble que nous ayons Nancy au bout de la ligne... N'est-ce pas Nancy-darling ?»
Un rire fluet s'échappe de l'appareil, accompagné d'une dizaine d'autres à peine audibles parmi de lointains grésillements. «Salut Crawling, mes potes et moi on a un message à passer ! Fais gaffe à tes arrières vieux, on est en ville et on cogne dur : JFK à côté c'était rien.» Le rire de Mick s'ajoute aux leurs. «Vous cognez dur, vous dites ? J'ai hâte de voir ça ! Et comment ils s'y prennent tes copains, Nancy ?» «On est des mutants Mick, ça rigole pas. On peut venir t'égorger en moins de temps qu'il ne t'en faut pour appeler ta Maman. Ouvre grand les yeux, Micky ! Les Children of the Atom ne sont pas loin. » Succédés par un long silence, les cris de l'animateur retentissent. Matthew et Jenny en ont le souffle coupé, assis en tailleur devant leur transistor qui vit probablement le moment le plus marquant de son existence depuis sa fabrication. Sans plus attendre, les Beatles comblent le vide intersidéral qui terrorise la jeunesse New-Yorkaise depuis plus d'une demi-minute; les battements de coeur de tous les adolescents de la ville poursuivent leur folle accélération sur Twist and Shout.

Article paru en première page du New York Times :

Strange death at the Rockabilly's.
Mort étrange au Rockabilly.
Dans la nuit de vendredi ai samedi 23 Novembre, le corps sans vie Mick Crawling a été retrouvé au studio d'enregistrement de la Rockabilly Station. L'autopsie révèle que l'animateur a été victime de combustion humaine spontanée -ou autocombustion, accident extrêmement rare que les autorités ont pourtant confirmé. Il n'en demeure de zones d'ombres sur le tableau. En effet, certains auditeurs ont affirmé avoir été témoin, le soir même du décès, de menaces reçues par Crawling lors d'un étrange appel lancé par une bande d'adolescents auto-proclammés «mutants».
Les enquêteurs tentent désormais de comprendre les véritables causes de ce drame, bien que des rumeurs circulent sur un étouffement rapide de l'affaire. Jusqu'à présent, aucun lien n'a été établi entre l'appel et la mort de Crawling -les vigiles se sont montrés formels, personne n'est entré ni sorti des locaux entre dix-neuf heures et six heures du matin. «Nous pensons qu'il s'agit d'une mauvaise plaisanterie, survenue au mauvais moment», a expliqué un porte-parole de la CIA. Rappelons tout de même que cette année, la violence juvénile dans la ville de New York a augmenté de 44%.

Orson Welles avait déjà terrorisé l'Amérique en prétextant une invasion d'OVNI en 38, aussi rares seraient ceux qui accordent du crédit à une annonce vue et revue. Néanmoins, plusieurs habitants semblent enclins à croire en l'existence de ces mutants, et surtout en celle de ce groupe inattendu, les Children of the Atom, qui ne sont qu'aux prémices de leurs opérations d'ultra-violence. Entre les rires inspirés par ladite plaisanterie et les réelles préoccupations qu'elle inspire, l'état de New York se voit divisé -presque autant que les mutants eux-mêmes qui appréhendent le sort qui leur est reservé, et qui, pour certains autres, s'empressent de rendre public l'étendue de leurs talents.